Je laisse à la nuit son poids d’ombres

Création pour 2 sopranos et ensemble par l’ensemble]h[iatus.

Composition : Jürg Frey

« Pendant les dernières années l’instrumentation ensemble avec soprano solo est devenue une passion, qui me permette d’exprimer mes pensées les plus personnelles.
Commençant en 2009 avec Farblose Wolken, Glück, Wind, j’ai encerclé le monde intérieur et le paysage du poète Gustave Roud. Cette composition de 50 minutes a été suivie par I listened to the wind again. Ici un texte de Bai Juyi (772-846), des fragments de Gustave Roud, Pierre Chappuis, Etel Adnan et des listes des mots de moi-même étaient le fondement de la composition. Une troisième oeuvre traite d’Emily Dickinson, également pour soprano et ensemble et avec une durée de 50 minutes.

Je ne considère pas ces compositions comme des adaptions musicales au sens habituel du terme. J’ai choisi ces textes et ces poètes parce qu’ils touchent un côté existentiel en moi. Dans le cadre de la nouvelle composition pour l’ensemble hiatus, j’essaye de continuer ce chemin. Cette fois la poète Anne Perrier (1922-2017) est mon compagnon. J’ai découvert son travail pour la première fois il y a plus de dix ans. Son œuvre ne comprend que des poèmes, pour la plupart assez courts et toujours sans titre. Les courts évoquent dans leur clarté des Haikus :

La paix
Tu la tiens dans tes mains
Comme un melon d’eau

L’heure qui monte vers midi
Laisse tomber son ombre
Dans la nuit

Mais Anne Perrier parle aussi de la fragilité de la vie:

Moi tige tremblante
Entre deux mondes
Avec ce peu
De forces qui me reste
Je tire sur mes racines.

Et de l’espoir de se débarrasser des ombres noirs :

Ce chant trop lourd
Je laisse à la nuit son poids d’ombres
Et le reste
Je le donne à l’espace
Qui le donne à l’oiseau qui le donne
À l’ange éblouissant

Je ne comprends pas cette nouvelle composition comme un cycle de chansons. Ce sera plutôt un chemin, qui touche des moments existentiels. La voie nomade est aussi le titre l’un des volumes les plus importants d’Anne Perrier. Cette vision d’un chemin qui continue et qui est aussi le symbole pour le mode de vie de l’homme me guidera dans le travail sur la nouvelle composition.
Il existe déjà de nombreuses correspondances entre l’œuvre d’Anne Perrier et ma musique, qui se développe à partir d’espaces sonores larges et silencieux. Les deux oeuvres se caractérisent par une prudence dans la matière musicale, par une sonorité élémentaire qui va de pair avec une précision dans les attitudes compositionnelles. »
Jürg Frey