Quand le bruit de la musique redevient silence (ou presque)

C’est par cette phrase suggérée par le saxophoniste Laurent Charles que je vous annonce officiellement la fin du festival Le Bruit de la Musique dont la douzième édition cette année en était l’ultime édition. Le festival devait son nom à une phrase d’Anna Karina dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard, il était logique d’utiliser l’image de fin de ce film pour illustrer cette annonce.

Il y a bien sûr tout un faisceau de raisons convergentes qui nous pousse à cette décision. Des raisons pragmatiques et des raisons poétiques. On peut aisément deviner les premières. Quant au secondes, elles nous ont été dictées à Martine Altenburger et à moi-même par une voix qui est celle de l’évidence. Cela peut sembler si peu sérieux de se laisser guider par une voix intérieure entendue simultanément, comme une manifestation de nos neurones miroirs, alors même que tout le monde dansait sur le parquet du chapiteau lors du « bal trad » de clôture. Et pourtant, nous nous tournons instinctivement vers cette soudaine épiphanie parce que nous avons toujours suivie la voie poétique plutôt que celle de la raison. Sans cette « folie » il n’y aurait jamais eu de festival Le Bruit de la Musique dans ce petit coin du nord-est creusois…

Un festival de musique, ce n’est pas qu’une liste de concerts qui s’enchaînent, c’est une aventure humaine. Elle commence dans un désir de partage, dans une intuition qui relie diverses approches esthétiques et dans l’écoute qui est un cheminement. Elle se poursuit – conditionnée par une étonnante suite de coïncidences – dans la rencontre de personnes d’horizons différents qui pourtant constituent non pas tant une équipe qu’un réseau de compétences en mouvement. Compétences artistiques, techniques, administratives, etc. Auxquelles viennent s’ajouter des solidarités (humaines, professionnelles, institutionnelles). D’aucuns appelleraient cela une synergie spontanée, j’aurais même l’audace d’appeler cela une stigmergie, voire une forme d’utopie sociale localisée qui permet de dissoudre temporairement les hiérarchies me rappelant mes lectures de jeunesse et en particulier certaines notions développées en son temps par Max Stirner (on ne se refait pas !).

Ces douze éditions du festival, bien plus donc qu’un événement culturel, ont été une parenthèse enchantée (oui, j’ose le mot) où l’engagement de chacun·e a contribué à construire une petite utopie en action et qui m’apparait comme la condition sociale normale (et non normée), qui, bien qu’éphémère, va au-delà des vœux du « vivre ensemble » du monde politique.

Des signes avant-coureurs nous ont indiqué, à Martine et à moi, que cette parenthèse devait être refermée à temps, pouvant laisser un souvenir heureux à chaque personne qui a fait l’expérience de cette proposition tout au long des ces douze années.

Cette stigmergie qui fut possible a permis de partager ces moments d’écoute partagés que sont les concerts et les performances proposés par les artistes invité·es. Ces moments qu’il faut lier dans un parcours d’écoute comme une aventure sensorielle déployée sur trois jours. La tâche de concevoir ces parcours a été – bénévolement – en grande majorité la mienne, tâche nourrie de centaines d’heures d’écoute d’enregistrements et de concerts, de voyages, de rencontres, de réflexions et de rêveries. Elle a révélé malgré moi ma manière d’entendre qui privilégie la précision, le discernement des sources sonores et le discours ciselé malgré les différentes esthétiques, malgré les différentes approches et au delà du hiatus en l’écrit et l’improvisé. Il était important pour moi de faire tenir ces parcours sur une ligne de crête qui ne pouvait apparaître que par l’ensemble des contraintes que nous avions d’emblée établi avec Martine.

Je n’aurais jamais assez de mot pour exprimer ma gratitude envers toutes les personnes qui ont peu ou prou permis de faire exister cette simple mise en présence de démarches artistiques si vivaces et passionnées bien que minoritaires.
Un petit livre sur les dix premières éditions du festival les nomment toutes et tous. Il y manque évidemment celles et ceux qui ont participé au deux dernières éditions.

Une pensée toute particulière aux artistes qui sont venu·es au festival et qui ont disparu depuis : John Russell, Simon H. Fell, Isabelle Usky et à notre amie Dominique Clermont.

Nous refermons donc cette parenthèse avec le sentiment d’avoir fait notre part mais l’aventure continue pour notre association sur le territoire creusois et au delà…

Lê Quan Ninh